jeudi 31 octobre 2013

Ma génération européenne



Le 20 octobre dernier, j’ai participé à une Transeuropean Walk à Varsovie. Cette marche a aussi eu lieu à Barcelone et à Berlin, dans le cadre du Festival Transeuropa organisé par le mouvement Alternatives Européennes. Chacune à sa façon, ces trois villes européennes ont créé quelque chose à partir d’une idée commune : marcher sur le thème de la migrationLe groupe de Varsovie a choisi un texte extrait du Journal de l’écrivain polonais Witold Gombrowicz. 



Cinq acteurs, de cinq origines différentes, ont interprété ce texte dans leur langue maternelle, dans cinq décors de la ville. A chaque étape, une mise en scène, des musiciens et des danseurs créent une situation particulière et une atmosphère autour de la figure du migrant. Entre chaque station, toute la petite tribu, une soixante de personnes environ, se déplace, en solitaire ou en petits groupes, en silence ou en discutant.

La musique de la langue varie, chaque comédien a sa propre histoire et son tempérament, mais la corde qui lie, qui attache et qui sépare, l’excitation de la découverte, l’inévitable dose de violence, l’énergie du désespoir, l’agitation, l’abrutissement… des accessoires, des accents, des regards rappellent les émotions qui se ressemblent, quand on est migrant. 

Me voici, moi, seul en Argentine, coupé de tout, perdu, annihilé, anonyme. J’étais un peu excité, un peu effrayé. En même temps, quelque chose en moi me faisait saluer avec une émotion passionnée le coup qui m’anéantissait et m’arrachait aux assises de mon ordre acquis.
Witold Gombrowicz, Journal  (1953-1969)


Dans l’allée menant au Château Ujazdowski abritant le Centre d’Art Contemporain à Varsovie, un jeune homme italien grimpe en haut d’une échelle, observe, descend de l’autre côté et se retrouve dans un espace clôturé par la corde où des personnes le fouillent, puis jouent avec lui, alors qu’il dit ce qu’il a à dire.




Plus loin, dans un passage sous-terrain, c’est Noé qui joue la scène en français. Ses yeux apeurés transpercent l’obscurité. En vrai, Noé est arrivé il y a quatre ans en Pologne, parce qu’il était tombé amoureux de ce pays et qu’il voulait y installer une Ludothèque. Pour que des personnes de tout âge et de toute origine se rencontrent, jouent et rient ensemble. Quoi de plus naturel.




Le décor suivant, une grande esplanade entourée d’immeubles, accueille l’histoire d’Alvaro, qui est espagnol. Alvaro est un bon acteur. Il est aussi membre du groupe local d’Alternatives Européennes qui a imaginé et organisé ce moment de création et de réflexion. 




Après la scène de l’immigré russe sur un terrain de basketball, l’ultime station se situe à quelques pas de la Plac Konstytucji. Autour de la jeune femme qui interprète le texte polonais original, les marcheurs-spectateurs sont invités à participer en tenant la corde qui délimite l’espace de jeu. Les danseurs finissent par courir de long en large,  enjambant la corde, bousculant les spectateurs pour brouiller les frontières et rappeler, peut-être, qu’on n’est jamais simple passant, qu’on a tous un rôle à choisir. 




A l’issue de la marche, au café MiTo, les participants sont d’ailleurs invités à écrire quelques mots au dos d’une carte postale, ce qu’ils ressentent vis-à-vis de l’immigration. Pour Natalia Szelachowska, qui coordonne le Festival Transeuropa à Varsovie : « Que les gens soient là et passent un bon moment et en même temps qu’ils réfléchissent au sujet de la migration et écrivent sur ces cartes, je trouve ça vraiment génial. Ils ne sont pas venus pour assister à quelque chose et s’en aller juste après, ils laissent aussi quelque chose d’eux-mêmes. »

Natalia Szelachowska, membre du groupe d'Alternatives Européennes à Varsovie



Lorsque j’écris ma carte, je pense évidemment à ces quatre jeunes acteurs qui ont quitté leur pays pour venir s’installer à Varsovie. Pour un coup de coeur, comme Noé, pour des raisons économiques aussi, la Pologne devenant une terre d'accueil et d'emploi pour les Européens du sud. 

Je pense aussi à Ridhi, vivant et étudiant à Oxford, dont la famille indienne du Mozambique a déménagé au Portugal pendant la guerre d’indépendance des années 1970. Ridhi m'a raconté son histoire avec une simplicité joyeuse… Elle développe maintenant OxPortunidades, un programme de mentoring pour encourager les jeunes Portugais à avoir une ambition à la hauteur d’Oxford et de Cambridge. 

Je repense à mon amie japonaise Eri, vivant à Modène et désormais mariée au génial inventeur Simone, qui me disait, après quelques années passées en Italie, à quel point elle était aussi déroutée que fascinée par certaines différences culturelles radicales entre les deux pays.

Je pense à Paraszta Pé, duo musical de choc rencontré dans le train Zagreb-Budapest : Danny l’Américain percussionniste et Pablo l’Argentin, joueur de vielle-à-roue, réunis par l’envie de jouer, en Hongrie, la musique du Nordeste brésilien… Pour Lucia, jeune étudiante slovaque également du voyage, mon amie Charlotte et moi, les deux complices ont bien voulu partager quelques morceaux. 




Je pense à cette jolie Portugaise rencontrée à Kalamata, Grèce, arrivée là, comme d’autres jeunes espagnols, français, islandais,  pour être volontaire pendant un an au centre pour la jeunesse de l'association KANE. Tombée amoureuse du Péloponnèse, elle décide de rester un peu plus, de tenter sa chance… 

Je pense à Lorena à Madrid, à Cimi, Míša, Ahmet, Umar, Abdulrahman et tous les autres à Lund et Malmö, à Nadia et Siddharth à Stockholm…

Je pense à tous ces jeunes rencontrés ces derniers mois. Certains vivent dans le pays où sont nés leurs parents, d’autres non. Plusieurs ont déjà habité dans deux pays ou plus et se sont sentis chez eux partout. Tous ont une histoire, des goûts, des talents, sont actifs pour un projet qui les dépasse ou se lanceront peut-être un jour. Ces jeunes adultes qui ont entre dix ans de moins que moi et dix ans de plus, engagés, curieux, mobiles, passionnés, ouverts, connectés, européens, citoyens du monde… C'est ma génération, et je l’aime !







lundi 26 août 2013

Les sans-domicile jouent au football. Objectif : bonheur.


  
A Sofia et ailleurs en Bulgarie, des jeunes sans domicile fixe jouent au football deux fois par semaine et préparent la Coupe du Monde des sans-abri. Façon dynamique de reprendre pied dans la société, ces entraînements sont une école de la vie pour des personnes qui n’ont souvent connu ni famille, ni cadre éducatif. Avec une approche entrepreneuriale et empathique, Viktor met sa passion pour le football et ses compétences au service d’un projet social et éducatif qui n’en finit pas de grandir.



Il y a dix jours, des SDF du monde entier ont mis Poznan en ébullition. Cette ville polonaise accueillait la Coupe du Monde des sans-abri. Grâce aux réseaux sociaux, j’ai suivi avec enthousiasme les moments forts de la compétition… avec une attention particulière pour l’équipe de Bulgarie.

Par un heureux concours de circonstances, j’ai fait la connaissance de Viktor Kirkov à Sofia. Passionné de football depuis toujours, une première carrière dans le journalisme sportif puis dans la publicité et les relations publiques dans le domaine du sport, Viktor n’est pas devenu complètement par hasard le partenaire officiel de la Coupe du Monde des sans-abri en Bulgarie.

Sollicité au départ pour son expertise et ses contacts, il accepte de donner un coup de main pour monter le dossier de candidature. De fil en aiguille, Viktor se retrouve seul responsable de ce drôle de projet.


Entraîner le corps, mais surtout l’esprit

En août 2011, sa demande est acceptée par la Fédération organisatrice. Le jeune homme vient de créer son entreprise ; avec Sports Management Bulgaria, il gère un complexe sportif pour le compte de la municipalité de Sofia et s’occupe de marketing du sport. Son métier, c’est de faire venir les gens vers le sport : les amateurs, mais aussi les médias, les entreprises. Avec les personnes sans-abri, finalement, le challenge est presque équivalent...  

A quelques détails près. « Au début, tout était compliqué, » explique Viktor. Dans un centre d’hébergement temporaire, il propose aux résidants de venir s’entraîner au football gratuitement, deux fois par semaine. Un premier coach bénévole est recruté. Ce qui suit, pour les 27 joueurs volontaires (25 garçons et 2 filles) âgés de 19 à 28 ans, c’est l’apprentissage des règles… de la vie. Un vrai challenge pour ces jeunes qui, jusque là, n’ont quasiment pas eu d’éducation.

L'équipe représentant la Bulgarie à Mexico en 2012. L'équipe bulgare s'appelle la "Team of Hope". 
© Sports Management Bulgaria.


En Bulgarie, les enfants laissés à l’assistance publique grandissent dans des institutions qui ont mauvaise réputation. En me décrivant le système, Viktor perd un peu de son calme habituel : « On s’occupe de la nourriture et de l’hygiène, mais personne ne parle à ces enfants, personne ne se soucie de ce qu’il se passe dans leur tête. A 18 ans, s’ils n’ont pas fini l'école, ils ont le droit de rester encore deux ans. A 20 ans, du jour au lendemain, ils se retrouvent à la rue ».

Au début des entraînements, la ponctualité des joueurs est toute relative. Puis, d’une petite victoire à l’autre, les joueurs finissent par arriver tous en avance à l’entraînement, alors même qu’il a désormais lieu dans le centre sportif éloigné que gère Viktor. Pour ce dernier, la performance n’est pas la toute première priorité : « On essaye de les amener à devenir disciplinés, organisés, responsables. C’est aussi très important qu’ils apprennent à s’aider les uns les autres ».


Pour avancer, tout le monde doit être content

Et les effets ne se font pas longtemps attendre, même en dehors du terrain de foot. Bientôt, plusieurs membres de l’équipe trouvent un travail et, progrès le plus notable, parviennent à le garder ; certains quittent le centre d’hébergement temporaire pour louer un appartement. Un jeune s’inscrit à l’université. Ce n’est pas le support financier dont ils ne bénéficient pas, mais l’encadrement bienveillant et les encouragements qui les poussent à se dépasser dans toutes les sphères de la vie.  

Alors que cette première expérience suit son cours à Sofia, Viktor noue des contacts à Plovdiv et Varna, puis à Stara Zagora, Vratsa et Blagoevgrad. Dans ces villes aussi, l’entraînement commence, avec plus ou moins de réussite, selon les contextes.


Viktor pose avec le maillot de l'équipe, affichant le logo de son principal sponsor aux côtés de différentes personnalités : l'ancien ministre des sports bulgare Svilen Neykov (en haut à gauche), Mel Young, président-fondateur de la Coupe du Monde des sans-abri (en haut à droit) et Peter Schmeichel, ancien capitaine du Manchester United (en bas). © Sports Management Bulgaria. 


Grâce à son expérience, Viktor développe un modèle économique d’une efficacité redoutable, à tel point qu’il en dévoile les secrets, lors d’une conférence, aux collègues des autres pays : trouver des ambassadeurs attractifs, offrir aux médias des nouvelles enthousiasmantes, créer l’émulation pour garantir aux sponsors un retour sur investissement en publicité équivalent à cinq fois le montant donné au départ... « Faire en sorte que tout le monde soit content, » résume Viktor qui, tout en consacrant la moitié de son temps à une mission sociale, constate que son centre sportif bénéficie de retombées positives. Les coachs, désormais au nombre de sept, bénévoles, sont remerciés par quelques avantages en nature et, surtout, ont l’opportunité de développer des compétences en entraînant une équipe nationale.


Education complémentaire : amour et liberté

Si la pratique du football a de puissants effets collatéraux, Viktor monte d’autres projets pour donner aux joueurs toutes les chances de s’en sortir. Certains participent ainsi à un programme éducatif qui s’appuie sur la méthode suggestopédique inventée par le psychologue bulgare Georgi Lozanov. Cette approche, évaluée de façon positive par l’Unesco en 1978, vise à augmenter les capacités d’assimilation et de mémorisation, notamment dans l’apprentissage d’une langue étrangère, en s’appuyant sur une dynamique de groupe positive et des interactions épanouissantes. Viktor, qui a lui même expérimenté la méthode, est convaincu de son efficacité : « Cela fait des individus libres d’esprit et créatifs… Ces jeunes, qui jusque là n’ont jamais reçu d’amour, se transforment. »

Deux volontaires ont ainsi été formés à la suggestopédie, puis ont chacun assuré un cours de 25 heures auprès des joueurs. Pour trouver les financements nécessaires à la formation de nouveaux professeurs, Viktor ne manque pas d’idées. Par exemple, la mise au point par des herboristes puis la commercialisation d’une « super nourriture » saine, équilibrée et énergisante, pour renforcer les muscles du corps comme ceux du cerveau.    

 L'équipe masculine bulgare remporte la Poznan City Cup. © Sports Management Bulgaria. 

En effet, si les objectifs de réalisation personnelle et d’insertion sociale priment sur le reste, tout est pensé pour que la réussite sportive advienne aussi. En 2013, pour sa deuxième participation au Mondial, la Bulgarie remporte l’un des trophées, la Poznan City Cup. A Sofia, une équipe de futsal (football en salle) est en train de se monter avec les joueurs les plus talentueux. L’ambition, d’ici deux ou trois ans, est de constituer une véritable équipe professionnelle, celle qui représentera les Bulgares, avec ou sans toit.



Impacts

En 2013, 70 jeunes hommes et 11 jeunes femmes s’entraînent au football dans 5 villes de Bulgarie : Sofia, Plovdiv, Stara Zagora, Vratsa et Blagoevgrad.

Petit à petit, les joueurs acquièrent des qualités : la régularité, le respect, l’esprit d’équipe. Ils retrouvent une vie plus stable (emploi dans la durée, logement, reprise d’études, etc.).

En août 2013, 26 joueurs participent à la Coupe du Monde des sans-abri en Pologne, avec la possibilité de rencontrer des jeunes issus de 69 autres pays.


Des ponts

Entre des jeunes en situation très précaire et le football, le monde du sport et l’ensemble des habitants des villes concernées, à travers les médias et les processus d’insertion sociale.

Entre des jeunes adultes du monde entier, connaissant ou ayant connu de grandes difficultés.   

Les équipes bulgare et polonaise féminine, après la rencontre. © Sports Management Bulgaria. 



Les leçons de Viktor

La recette du succès : « Pour réussir, il faut deux choses : l’amour et la discipline. Je ne veux pas aider ces gens, je veux créer des opportunités qui leur permettent d’initier en eux un changement durable. Quand ils sont prêts, la vie leur donne une chance. Nous les aidons simplement à devenir plus prêts. »

Faire ce qui nous rend heureux : « Lorsque j’étais plus jeune, j’étais fan d’une des équipes locales de Bulgarie et ça me rendait très heureux. Puis, j’ai perdu ce sentiment en découvrant que tout n’était pas clair dans le milieu du football. Maintenant, avec mon équipe, j’éprouve de nouveau ce merveilleux sentiment ! La vraie raison, c’est que je suis heureux de faire ce que je fais. »



Pour en savoir plus, visitez le site Internet de Sports Management Bulgaria et la page Facebook de Homeless World Cup Bulgaria





vendredi 9 août 2013

Quarto Posto : la périphérie au centre



A Quarto Oggiaro, des étudiants et jeunes professionnels du secteur social créent Quarto Posto, un lieu pour sociabiliser, découvrir, expérimenter. Dans ce quartier en grande difficulté du nord-ouest de Milan, les jeunes bénévoles s'adressent aux enfants et aux adolescents, aux parents et aux retraités du quartier, mais aussi aux autres Milanais. Organiser la rencontre entre des cultures différentes, animer des jeux et des ateliers créatifs, susciter la curiosité : Flavia, Marina, Pietro et les autres membres du collectif observent, comprennent, proposent, créent du lien et éclairent des perspectives.      



Alors que Flavia nous conduit de la station de métro Affori Centro à Quarto Oggiaro, je lui raconte la réaction de l’employé de l’hôtel à l'évocation de ma visite nocturne du quartier :  "Là-bas, c’est le Bronx !". Amusée et énigmatique, Flavia semble penser : "pas tout à fait vrai, ni tout à fait faux".

Capuana, petite place entourée de barres d’immeubles. D’apparence rénovée, pelouses d’un vert tendre et lumière bleue qui éclaire les passages en rez-de-chaussée. Le calme dans l’obscurité, trompeur selon Flavia : "En journée, surtout l’été, les enfants sont partout, c’est plein de vie. Cette place, c’est un pays en soi."  

Nous arrivons devant un store baissé, avec une inscription : "Circolo Arci Itaca". "C’est ici que nous sommes installés, dans ce Circolo Arci géré par des petits vieux," introduit Flavia avec un sourire. En Italie, Arci est l'un des rares réseaux associatifs laïcs ; il repose sur l’initiative de bénévoles regroupés dans des "Circoli" (des "cercles"). Comme Itaca et Quarto Posto, chaque Circolo a un projet spécifique, s'inscrivant dans une philosophie qui promeut la participation des habitants et la cohésion sociale.



Faire venir le centre en périphérie et la périphérie au centre 

Marina nous attend.  Les deux jeunes femmes ouvrent le bar et nous servent un café. Pietro nous rejoint bientôt. Après m’avoir fait visiter les lieux, les trois amis s’installent et me racontent. 

Flavia au bar 

"Redresser la tête et la tenir haute" sont les mots de Quarto Posto, un collectif créé en 2011 par huit jeunes âgés en moyenne de 25 ans autour du quartier de Quarto Oggiaro. Ce qui les rassemble alors : ils se destinent aux métiers du social et ont grandi dans la banlieue nord-ouest de Milan. Quand je leur demande comment est né le projet, ils évoquent leur attachement à cette banlieue, le lien particulier de l’une d’entre eux à Quarto Oggiaro. Ils parlent aussi de passion, de défi et de l’envie de vivre une aventure collective.

Lieu emblématique de la drogue à Milan, le lieu concentre des problématiques lourdes : chômage de masse, familles déstabilisées, jeunes sans repère et impliqués dès l’enfance dans des activités de vol et de trafic… Handicaps auxquels s’ajoute une image désastreuse. Et c’est de là que naît le défi : comment faire d’un lieu aussi périphérique un endroit où il faut être ? "Délocaliser la movida milanaise, voilà une perspective intéressante !," s’enthousiasme Marina.

© Quarto Posto

C’est dans cet esprit que les jeunes de Quarto Posto commencent à organiser des soirées, des présentations de livres, des concerts, des projections de films… Une programmation attractive pour associer d'autres images à Quarto Oggiaro. Faire venir des gens de l’extérieur, mobiliser les habitants du quartier, créer des occasions de socialisation stimulantes et valoriser les talents locaux. "Faire venir le centre en périphérie et la périphérie au centre," résume Pietro.  


S'appuyer sur les ressources locales 

En s’appuyant sur un modèle d’auto-financement, le collectif cherche à valoriser les ressources locales. Avec de petites recettes qui proviennent essentiellement des soirées du vendredi, Quarto Posto soutient le bar Itaca, organise des activités telles que des ateliers artistiques ou des tournois de football et monte des projets éducatifs avec les enfants et les jeunes du quartier.

Pietro et Marina devant une peinture collective réalisée par les enfants du quartier 

Pendant trois mois, en collaboration avec les éducateurs d’autres associations locales, Flavia a ainsi arpenté les rues de Quarto Oggiaro pour connaître et accompagner des enfants totalement livrés à eux-mêmes. "En suscitant des expériences positives, il s’agit de montrer à ces jeunes qu’on peut affronter les choses différemment, qu’on peut inventer autre chose," explique Flavia. Pour la jeune femme, la réussite d’un tel projet repose sur la connaissance du tissu local, des acteurs publics, privés et associatifs, pour pouvoir se passer efficacement le relai.


Se faire apprivoiser  

« Au départ, on nous demandait d’où on était, » raconte Marina en riant, « on n’est pas de Quarto Oggiaro, donc on est des étrangers ». La voiture de Flavia est même vandalisée. Aujourd’hui, s’ils sont toujours perçus comme des gens un peu bizarres parce qu'ils viennent travailler sans contrepartie financière, les jeunes de Quarto Posto ont gagné la confiance des habitants.

De la même façon, les retraités du bar ont au début du mal à accepter de faire rentrer des enfants agités dans le local, d'autant que la peinture ou les autres activités suscitent un peu d'animation et de désordre… Petit à petit, un apprivoisement réciproque et une collaboration respectueuse se mettent en place. Nicola, le barman, donne un coup de main pour le service du vendredi soir. Les jeunes renflouent un peu les caisses et proposent des idées au conseil d’administration du Circolo Itaca. 

© Quarto Posto

Pour les membres de Quarto Posto, les valeurs se traduisent concrètement, à travers un engagement de terrain et des décisions élaborées collectivement. Pietro raconte : "Nous avons organisé des soirées avec l’association Libera pour parler de la mafia : symboliquement, pour Quarto Oggiaro et pour Milan, c’était très fort. Mais nous ne pouvons pas faire Libera ici, ça nous empêcherait de faire autre chose". "Nous sommes anti-mafia, anti-fascistes : ce sont nos valeurs," précise Marina. "A centre mètres, ils ont ouvert un bureau de Casa Pound, un groupe néo-fasciste. On ne peut pas laisser un tel groupe être le seul choix pour les jeunes d'ici, on doit donner une alternative ».

23 heures. Nous quittons le bar Itaca. Je regarde une dernière fois la petite place Capuana et je me dis qu’il y a de la poésie dans tout ça. Plus tard, je lis ces mots sur le projet de Quarto Posto pour Quarto Oggiaro : "Un espace où expérimenter à la première personne la possibilité de créer la culture, où redécouvrir les relations sociales les plus simples, où devenir des citoyens actifs".




Impact
  • Une offre culturelle nouvelle et un espace de rencontre dynamique.  
  • Des possibilités d’expérimentation, de jeu et de création, pour des enfants et des jeunes qui découvrent que des alternatives à la criminalité existent et que chacun peut apprendre à développer son potentiel. 


Des ponts
  • Entre de jeunes bénévoles et les enfants, adolescents et adultes d’un quartier cumulant les difficultés.
  • Entre des cultures, des identités, le centre et la périphérie.
  • Entre de jeunes adultes et des personnes plus âgées, dans l’expérience de la gestion commune d’un bar et de projets associatifs. 



Quelles leçons de l’expérience Quarto Posto pour Flavia, Marina et Pietro ?

  • La passion et le plaisir de faire ensemble soutiennent le projet dans la durée, permettent de développer la patience et la persévérance. La connaissance d’un monde prend du temps, la rencontre avec l’autre aussi.
  • La congruence porte des fruits : les membres de Quarto Posto attachent de l’importance aux mots qu’ils emploient, à l’analyse et à la remise en perspective de leur action par rapport au contexte territorial, à l’histoire du quartier, etc. C’est assurer la congruence, ou encore la cohérence entre l’expérience qu’ils vivent sur le terrain et la conscience qu’ils en ont. C’est l’optimisme en action : un mélange d’idéalisme – une forte ambition pour le quartier – et de pragmatisme – on avance petit à petit et chaque pas est une victoire. 


Pour en savoir plus: le site Internet d'Arci Milano et la page Facebook de Quarto Posto.