Avant de quitter Bruxelles, je rencontre Quentin Martens qui a co-fondé Plan B. Le but de cette initiative portée par de jeunes francophones et néerlandophones: apprendre à mieux se connaître et à dialoguer, élargir les perspectives et imaginer ensemble un futur à la Belgique. Autour d'un thé à la menthe, Quentin me parle de ces rencontres, mais aussi de culture européenne et de coopération, de la force des symboles et de l'importance de raconter des histoires pour mieux rêver l'Europe.
Portraits d'Europe: Où as-tu grandi ?
Quentin Martens: J’ai
grandi à cinq minutes de la frontière, à Wezembeek-Oppem
qui est une commune à facilité. Cette petite commune appartient à la Flandre,
avec une majorité de francophones qui a, d’un point de vue administratif, un
statut de minorité. Ça n’a rien changé à ma vie si ce n’est que, dans ma rue, il y avait quelques couples
flamands avec qui on discutait de temps en temps et que, dans les services
administratifs, je devais demander gentiment en flamand que l'on me parle en français.
J’ai été scolarisé à Boitsfort, une
commune bruxelloise. Comme environ un Bruxellois sur deux, j’ai été scout. A 18
ans, je suis parti en Honduras travailler avec les gosses de rue, qui étaient
un peu comme mes louveteaux… A mon retour, six mois après, j’ai étudié la
sociologie et un peu la philosophie, puis l’aide humanitaire et la résolution
de conflits internationaux. J’ai étudié dans cinq pays : la Belgique, la
France, la Suède, le Canada et la Pologne.
PdE: D’où vient l’idée de Plan
B ?
QM: Il y
a un peu plus de trois ans, je travaillais pour le Ministère des Affaires
Etrangères pour préparer la Présidence belge du Conseil de l’Union européenne.
Je suis parti seul sur les chemins de Compostelle. A mon retour, le
gouvernement belge est tombé. On allait avoir les clés de la présidence de
l’UE, c’était la honte… En Belgique, tous les partis sont pro-européens. On
ne peut pas en même temps mettre en avant les belles valeurs d’unification et
le fédéralisme européen et se bagarrer ou, en tout cas, être incapable de discuter
de façon respectueuse.
Et j'ai pris conscience que je ne voudrais jamais que la Belgique cesse d’exister, parce que cela
signifierait que l’Europe meurt dans ce qu’elle a de culturel. La Belgique peut
s’inventer de nouvelles manières d’être, mais elle ne peut pas échouer dans la
manière dont elle vit son altérité…
Alors,
j’ai écrit une carte blanche pour dire qu’être belge, c’est avoir besoin de l’autre pour se définir. Nous l’avons signé à quatre : moi le Belge
bruxellois, un Belge flamand, un Belge wallon et un Belge germanophone. Le
texte a été publié dans le journal flamand De
Standaard, dans le journal francophone La
Libre Belgique et traduit dans plusieurs langues. C’était une invitation à
se rassembler, plutôt qu’à se séparer. On trouve toujours des raisons pour se
séparer, elles sont beaucoup plus faciles à utiliser mais beaucoup moins
nombreuses que les raisons qui nous rassemblent.
A la
même période, on s’est rendu compte que nous, la génération Erasmus, on
connaissait des personnes partout en Europe, mais personne de l’autre côté de
la frontière linguistique. Comme la plupart des Belges, je n’avais pas d’amis
de l’autre langue avant d’entrer dans la vie professionnelle. Parce que nos
systèmes éducatifs, nos universités, nos médias, nos références culturelles,
nos lieux de sortie sont différents.
L’idée
de Plan B, c’était donc de créer un lieu de rencontre, un lieu pour construire
des ponts. Au Ministère des Affaires Etrangères, j’avais un collègue
néerlandophone Ewout, avec qui je m’entendais très bien. On a chacun ramené des
amis et le groupe s’est monté comme ça.
PdE: Concrètement, en quoi ça consiste ?
QM: Au
départ, on était une quinzaine de jeunes et on a écrit une petite charte pour
définir nos valeurs et nos objectifs. Aujourd’hui, on est environ 30 jeunes de
25-30 ans, néerlandophones et francophones, bilingues pour une partie d’entre
nous.
Il y
a eu toute une phase nécessaire pour apprendre à se connaître, à se parler. Par
exemple, les Flamands préfèrent qu’on les appelle Flamands, mais qu’on appelle
leur langue le néerlandais, il y a
toutes ces subtilités… On échange sur notre vision de la Belgique, sur nos
symboles communs. Et encore aujourd’hui, on apprend à se connaître.
On
se réunit deux fois par mois et on organise des rencontres intimes avec des
hommes politiques, des anciens ministres par exemple : on est entre dix et
trente personnes, chez l’un d’entre nous, autour d’une bouteille de vin. On
organise aussi des conférences sur différents thèmes, à chaque fois dans les
deux langues. On a ainsi eu une conférence sur les mythes fondateurs de la
Belgique, une autre sur le rôle des médias dans les incompréhensions actuelles, avec les deux rédacteurs en chef du Soir et du Standaard.
On a
aussi organisé un débat entre les présidents des dix jeunesses politiques
(liées aux cinq partis francophones et aux cinq partis néerlandophones) :
c’était la première fois qu’elles se réunissaient. Un an après la crise liée à
l’absence de gouvernement, c’était un symbole fort.
Ces
lieux de rencontre sont assez rares en Belgique. Avec deux autres groupes de
jeunes (les Rapporteurs et Shame, le mouvement qui avait porté la manifestation
en 2010), on a porté une pétition à travers la plateforme Be4Democracy, pour la
création d’une circonscription électorale fédérale : on a obtenu plus de
27 000 signatures et le soutien de 150 personnalités du monde culturel,
économique et politique.
PdE: Comment susciter
l’intérêt des citoyens sur l’Europe ?
QM: Mon
rêve, c’est de faire un film sur Jean Monnet et un autre, une fiction, sur
l’Europe. L’Europe, c’est des hommes et des valeurs. Ce sont les personnages
qui incarnent les valeurs de générosité, de partage, d’amour, de souci de
l’autre, d’écoute, d’humilité…
On a
la mémoire courte… Moi j’ai eu la chance de connaître mes quatre
grands-parents. Connaître l’histoire de ses arrière-grands-parents, de ses
grands-parents, de ses parents et donc sa propre histoire, cela donne une force
extraordinaire : cela nous situe dans le temps et dans l’espace, ce que
notre quotidien ne fait pas.
L’Europe
a 50 ans et, aujourd’hui, elle n’est pas vraiment incarnée. Est-ce que l’Europe se rêve encore ? On a besoin que l’on nous raconte des
histoires : des histoires pour enfants, des histoires slovènes,
portugaises… Tout passe par la transmission. Je voulais organiser un concours
de poésie pour les fonctionnaires
européens, pour qu’ils parlent à leur cœur… C’est pour ça que je veux faire une
fiction sur l’Europe : il faut raconter une histoire d’amour qui nous
touche, pas quelque chose qui nous informe.
Pour en savoir plus: le site de Plan B
Impressionnant cet article ! Félicitations à Quentin !
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