A Berlin, Martin a fondé Citizens
for Europe, une association qui lui ressemble et qui ressemble aussi à tous
les Européens qu’il a rencontrés pendant ses voyages. L’ambition poursuivie :
donner un sens à la notion de citoyenneté européenne en permettant à toute personne résidant en Europe, quelle que soit son origine, de faire entendre sa voix
et de prendre des responsabilités. Avec l’idée que la participation du plus grand nombre et la prise
en compte de la diversité à l’échelle locale sont nécessaires pour faire
grandir l’Europe.
Portraits d'Europe : Quel a été ton parcours de
formation ?
Martin Wilhelm : J’ai étudié la communication, les sciences politiques et la
macro-économie. Mon université était à Greifswald, près de la mer Baltique, région où
je suis né. Mais mes études n’ont jamais été le principal moteur de mon
développement.
Entre 18 et 26 ans, j’ai saisi toutes les opportunités de mobilité et
de formation liées à l’Europe : Erasmus, service volontaire européen, programmes
d’échanges. J’ai fait mon service militaire en Angleterre, dans une école
anthroposophique. Et j’ai habité dans différents pays d’Europe, dont la
Norvège, la Hongrie, la France et la Serbie, où j’ai créé un festival étudiant,
l’International Student Week in Belgrade.
Avec tous ces voyages, je suis devenu de plus en plus détaché de mon
identité nationale. J’ai pris conscience de ce qui relie ces pays, des raisons
pour lesquelles on a fait grandir l’Europe. Je suis devenu en quelque sorte un citoyen européen.
Et plus je suis devenu Européen, plus je suis devenu critique par
rapport à l’Union Européenne. Entre les institutions européennes et les citoyens,
il n’y a presque aucun lien. Beaucoup de décisions sont prises en dehors du
Parlement Européen et des parlements nationaux. C’est pour cela qu’il y a
autant d’euroscepticisme : les citoyens ont peur de ne plus pouvoir
contrôler ce qu’il se passe.
Il y a donc un mouvement contradictoire : les programmes européens
de mobilité, dont j’ai bénéficié, permettent de passer du statut de citoyen
passif à celui de citoyen actif. Mais l’Union Européenne ne sait pas comment
s’adresser à ces citoyens actifs. Maintenant, il y a les premières initiatives citoyennes européennes, on va voir ce que ça va devenir.
PdE : Comment a débuté Citizens for Europe ?
MW : Après une expérience professionnelle dans une fondation, ici à Berlin,
une structure très hiérarchique que j’ai rapidement quittée, j’ai réfléchi
pendant quelques temps à ce que je voulais faire. A Berlin, un citoyen sur sept
n’a pas le droit de vote. La mobilité en Europe, c’est bien, mais il y a des
droits sociaux et politiques que l’on perd lorsqu’on traverse une frontière. C’est
vrai pour les citoyens européens et encore plus pour les citoyens
non-européens.
Avec des amis du Danemark, des Pays-Bas et d’Allemagne, nous avons donc
élaboré un projet sur la participation politique dans l’Union Européenne. Quels
sont actuellement les droits en matière de participation et à quoi devrait
ressembler la citoyenneté européenne ? Notre idée était de dissocier la
citoyenneté européenne des citoyennetés nationales. Aujourd’hui, on est
citoyen européen parce qu’on est Français ou Allemand. Nous avons imaginé un
site web, « Vote-Exchange », pour permettre à des citoyens européens
ne résidant pas dans leur propre pays de réaliser des partenariats de vote. C’était
conçu comme un outil de discussion et de communication autour de ce sujet.
On a obtenu un financement du programme « Jeunesse en Action » et, dans la foulée, on a créé une association. En référence à
« Europe for Citizens », un important programme de financement qui
cherche à générer de la citoyenneté européenne, nous avons appelé notre
structure « Citizens for Europe ».
PdE : Pour Citizens for Europe, la citoyenneté européenne se traduit
avant tout localement. Combien de personnes participent aux projets menés à
Berlin ?
MW : A travers les projets que nous menons à Berlin, nous défendons
effectivement l’idée qu’être Européen, c’est être actif localement :
identifier des problèmes communs, en discuter ensemble, tenter de trouver une
solution, communiquer avec ses voisins, réfléchir à la manière dont on
consomme… La consommation a ainsi un impact sur tous les segments de notre
société. C’est peut-être d’ailleurs ce qui distingue l’Europe des autres
continents : l’idée que chacun est responsable par rapport à ce qui se passe dans son environnement.
Par rapport au nombre de personnes impliquées, cela dépend des projets.
Avec « Jede Stimme », nous avons organisé des élections fictives un
an avant les élections régionales, en invitant tous les citoyens, allemands ou
non, à voter. Nous avons travaillé avec plus de 80 associations de migrants et,
en tout, plusieurs milliers de personnes ont participé.
PdE : Comment pourrais-tu qualifier votre
manière de fonctionner ?
MW : Notre équipe est composée de sept personnes et nous travaillons avec
des modérateurs externes de Interactive Workshop of Europe et de Art of hosting. Lorsque nous commençons un nouveau projet, toute l’équipe
initie un travail de réflexion collective pour développer l’idée, selon des méthodologies
interactives telles que le « Pro-action café ». Cela prend du temps
parce que cela nécessite beaucoup de communication, mais les projets qui en
résultent sont riches de sens et durables.
Ainsi, récemment, nous devions définir les objectifs d’un nouveau
projet, « Diverse City », qui traite du problème de l’absence de
représentation des personnes immigrées dans les instances de décision des
entreprises et des institutions publiques. Nous avons d’abord réalisé un
« Design thinking process » au sein de l’équipe. Nous avons ensuite refait
le même processus avec 20 personnes extérieures, d’associations de migrants,
d’administrations et d’entreprises. Il s’agissait de réunir différents points
de vue afin de vérifier que nous étions dans la bonne direction. A l’issue de
cette rencontre, les participants ont émis le souhait de poursuivre ultérieurement
les échanges. Ces personnes ont pris conscience d’une chose : on peut
s’aider énormément en ayant simplement une façon intelligente de se parler.
Source: http://www.theworldcafecommunity.org/forum/topics/pro-action-cafe
Ces pratiques d’intelligence collective, nous aimerions les introduire
en politique. Cela signifie remplacer les prises de décision hiérarchiques par
des réflexions collectives par lesquelles s’impose la décision. Avec différents
partenaires européens, nous nous réunissons en mai pour nous pencher sur l’expérience islandaise et nous en inspirer afin de réaliser une Convention pour l’Europe
selon un processus où les citoyens sont acteurs.
PdE : Ce que vous proposez, c’est de
contribuer à diffuser une nouvelle culture politique. Comment faire ?
MW : Oui, une nouvelle culture politique dans laquelle, localement, chaque
citoyen participe et assume des responsabilités. C’est une évolution qui va
prendre du temps. Le principal problème, c’est que notre système éducatif ne
fabrique pas des citoyens actifs, mais plutôt des citoyens consommateurs, des
personnes à qui l’on dit ce qu’il faut apprendre, ce qu’il faut croire, quelles
compétences il est important de développer. Pour changer notre système
politique, il faut changer notre système d’éducation.
Pour en savoir plus: le site web de Citizens for Europe
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