mardi 23 juillet 2013

Transformer l’éducation avec l’engagement citoyen



Des portraits de jeunes Européens qui agissent localement et contribuent à renforcer la communication et la cohésion entre les habitants. Des initiatives diverses, sociales, culturelles ou liées à la participation citoyenne, qui nécessitent de déployer un projet, de s’appuyer sur des ressources, de fédérer des énergies. Des récits et des témoignages sur les parcours de « personnes ordinaires, dotées d'une volonté extraordinaire », pour reprendre les mots d'un ancien champion de karaté, devenu promoteur des valeurs de courage et de respect dans les collèges de Marne.    



Le genre de choses que je vous propose depuis le début du printemps. C’est l’été et je persiste à vous raconter ces histoires, en espérant qu'elles vous captivent et vous inspirent. Mais peut-être qu’une petite remise en perspective s’impose à ce stade. Au fond, qu’est-ce que je cherche ? Quelles sont les questions que je me pose ? Et pourquoi mes jeunes porteurs de projets m’aident-ils à avancer dans ces questionnements ?   


Un monde qui change, des défis pour notre éducation 

Le point de départ, c’est de constater que quelque chose manque dans notre éducation. J'ai eu un parcours scolaire et étudiant plutôt réussi ; j’en reconnais tous les bénéfices, je sais aussi que certaines choses m’ont manqué. Entre autres, sans aucun doute, l’apprentissage de la dynamique de groupe.

De nombreuses études s’accordent  à dire que notre modèle d’éducation n’est pas adapté de façon optimale au monde d’aujourd’hui. Pour avoir une idée des enjeux et des travaux réalisés en la matière, je vous recommande l’excellente note de François Taddei intitulée "Former des constructeurs de savoirs collaboratifs et créatifs : un défi majeur pour l'éducation du 21ème siècle", contribution réalisée en 2009 pour l'OCDE dans le cadre de sa Stratégie pour l'Innovation

Au moins trois types d’évolution ne sont pas aujourd'hui suffisamment prises en compte  par notre système d’éducation :
  • Celle de la transmission de l’information : Internet, désormais considéré comme une révolution aussi importante que l’arrivée de l’imprimerie.
  • Celle de la mondialisation, et de ses impacts liés à la mobilité, aux rencontres entre les cultures et à l’émergence de nouvelles cultures.
  • Celle de la crise qui devient structurelle dans ses dimensions économique, sociale, environnementale, mais aussi politique (crise des démocraties) et, dans certains pays, démographique.

Les conséquences de ces évolutions sont multiples. En ne considérant que les implications sur les sociabilités, on constate une redéfinition et une complexification des relations entre les personnes. 

Source: http://www.olivertomas.com/information-design/a-selection-of-graphics-from-bauhaus-publications/


Le spectre des interactions est devenu potentiellement illimité, quantitativement et dans l’espace. Ce qui crée de vraies opportunités. Et, en même temps, on observe un étiolement des formes de  sociabilité traditionnelles et un manque de repères pour en recréer de nouvelles. 

Dans notre monde qui change toujours plus vite, il y a de plus en plus de possibilités et de moins en moins de recettes. La seule recette qui semble valoir, c’est justement d'être capable de vivre sans : s’adapter, faire preuve d’ingéniosité et de souplesse. Des stratégies qui ne sont pas nécessairement intuitives, mais qui s’apprennent et se pratiquent. 


Information, rapport à l'autre, vocation

L’école, l’enseignement supérieur et la formation tout au long de la vie ont évidemment un rôle à jouer. D’abord pour permettre à chacun de bien prendre conscience qu'un monde qui change, ce sont à la fois des opportunités (avec des stratégies à développer pour apprendre à les saisir) et des menaces (avec des stratégies à développer pour apprendre à s’en prémunir).

Une éducation qui offre à chacun le cadre et les pistes lui permettant d'apprendre à s'adapter, à être créatif... Perspective intéressante, mais qui peut aussi donner un peu le tournis. Pour faire écho aux trois types d'évolution énumérés plus haut, l’éducation pourrait accorder davantage d'importance au développement de stratégies relatives :
  • A l’information : comment mieux apprendre et transmettre en optimisant notre gestion des flux immenses (et, à mon avis, un peu effrayants) d’information. 
  • Au rapport à l’altérité : être moi et être avec l’autre, faire partie d’un groupe, la ressemblance, la différence... 
  • A la vocation : comment trouver sa place, son« élément » comme l’appelle Ken Robinson : ce que l’on aime faire et ce pour quoi l'on possède un talent particulier, le domaine qui favorise un double sentiment d’utilité et de bien-être.



Source: http://delphinedurand.blogspot.fr/2010/01/actualites-bibliographiques.html


Information, rapport à l'altérité, vocation : trois domaines pour lesquels on a encore beaucoup à explorer, expérimenter, inventer. Pour cela, la grille de lecture des intelligences multiples peut certainement aider. 

  
Education, dynamique de projet et engagement citoyen 

Pour en revenir à mon enquête, pourquoi aller interroger de jeunes adultes engagés dans des projets citoyens ? Au fond, quel rapport avec l’éducation ?

D'abord, il s'agit d’explorer le lien entre dynamique de projet et éducation. De ce point de vue, je pourrais aussi bien interviewer des entrepreneurs oeuvrant dans tout type de domaines ou encore des artistes, des créateurs de spectacles. Le point commun de ces parcours : ils nous aident à comprendre ce que l'expérience d'un projet ambitieux peut apporter en terme de développement de la personne.

Certaines écoles dans le monde ont ainsi fait le choix du « project based-learning » : en déroulant un projet depuis l’idée originale jusqu’à la mise en œuvre collective et la mesure des impacts, les élèves assimilent des connaissances bien mieux que dans un cadre d'apprentissage théorique et développent d’autres talents, tels que l’art de bien communiquer et de travailler en équipe. Ces méthodes ont vocation à faire grandir chez les jeunes le goût de l’expérimentation et de la création pour, peut-être, leur donner envie d'entreprendre. 

Ensuite, en m’intéressant aux parcours de jeunes Européens dont l'action produit des effets dans la consolidation du vivre-ensemble, j’ajoute une variable. Au-delà de la dynamique de projet, je cherche à comprendre quelle peut être la valeur éducative de l'engagement en faveur de l'intérêt général, d'une action dirigée vers les autres. Finalement, cela rejoint mon hypothèse selon laquelle le rapport à l'altérité s'apprend.  


                                  Source: http://www.convergences2015.org/fr/Article?id=1030&topic=1


En commençant cette enquête, je suis partie avec un mot, celui de compétence. Et même de "compétence humaine", concept assez flou, vous en conviendrez... Je préfère aujourd'hui parler de "leçons de vie", pas au sens de leçons à apprendre par coeur, mais plutôt de petits "mémorandums" ou encore de "relevés d'observation" à partir des récits de parcours courageux et inspirants.    

Découvrez ces parcours de vie liés à des projets en Italie, en Allemagne, en Belgique et en France, bientôt en Slovénie, en Bosnie-Herzégovine, en Hongrie, en Bulgarie et en Grèce : n'y a-t-il pas là des éléments qui invitent à porter un regard nouveau sur l'éducation? 

Parce que ma démarche est exploratoire et bien que je ne me sois pas expliquée sur tout, je ne développerai pas plus aujourd'hui. Merci pour votre lecture attentive. J'aimerais beaucoup avoir vos réactions : n'hésitez pas à utiliser la page Facebook de ce blog.    






mercredi 10 juillet 2013

Des technologies pour contourner les handicaps et faire grandir les talents



Pour permettre à des personnes lourdement handicapées de mieux communiquer avec leur environnement et d'être dans une dynamique d'apprentissage, Simone crée AIDA, une société qui propose des logiciels adaptés aux capacités de chacun. Pour Simone, devenu ingénieur informatique et créateur d’entreprise malgré son handicap, il s’agit de démontrer aux personnes connaissant des difficultés importantes et à leur entourage personnel, éducatif et médical que tout est possible, pour peu que l’on en soit convaincu et que l’on se dote de quelques outils bien conçus. Récit de ma rencontre avec un jeune italien passionné, dans sa belle ville de Modène. 



En septembre 2010, mon amie japonaise Eri m’annonce qu’elle déménage à Modène. Lorsque j’habitais à Milan, Eri et moi partagions le même appartement. Mon ancienne colocataire va désormais travailler dans l’entreprise à vocation sociale d’un certain Simone. Un an et demi plus tard, Simone et Eri se marient. Une nouvelle qui me remplit de joie pour mon amie et m'interpelle aussi un peu. Simone a une trentaine d’années. Il est ingénieur informatique. Et il vit avec un handicap moteur plutôt lourd. 

Google aidant, je découvre des dizaines d’articles et de vidéos sur l’incroyable parcours de Simone Soria. A chaque fois, Simone affiche un gigantesque sourire. En dépit des difficultés auxquelles il fait face, il se considère comme un privilégié de l’existence. Et, à ce titre, il veut pouvoir mettre à profit son expertise personnelle et professionnelle pour aider d’autres personnes handicapées à mieux communiquer avec leur environnement. Il ne me faut pas longtemps pour me décider : lors de mon passage en Italie, j’irai rendre visite à Eri et Simone.


Des outils qui s’adaptent pour offrir de la liberté

Sur la via Emilia, Modène se trouve à mi-chemin entre la plaine du Pô et l’Adriatique. Eri m’attend à la gare et m’accompagne dans une camionnette jusqu'à la maison, qui sert également de bureau à Simone et ses collaborateurs. L’équipe est d’ailleurs en train d’échanger avec une famille, un jeune homme en fauteuil roulant et ses parents, venus de Rome pour découvrir les différents logiciels informatiques et services proposés.

Un peu plus tard, je fais la connaissance de Simone. Ses yeux pétillent de curiosité à mon égard ; ma démarche d'enquête l’intrigue. Le jeune ingénieur me commente la visite de la famille qu’il vient de recevoir : « Je leur ai posé des questions pour comprendre quels sont les besoins : utiliser l’ordinateur, étudier, … Puis je leur ai présenté FaceMouse, l’un des outils logiciels que nous proposons, conçu pour des handicaps lourds ». Comprenez : plus lourd que celui de Simone, qui assure avoir imaginé ce logiciel pour les autres, comme un jeu.

Petite démonstration : Simone, devant un écran d’ordinateur muni d’une webcam, effectue une mise au point ; en quelques secondes, son nez se transforme en souris. Des petits mouvements de la tête lui permettent de déplacer la souris sur l’écran, un temps de pause correspond à la sélection.


Si le premier usage est de permettre à une personne de s’exprimer sans la voix ou sans les mains, toutes les fonctionnalités de l’ordinateur sont accessibles : traitement de texte, navigation sur Internet, jeux… Et le point fort du programme : de la commande aux contenus, il peut être entièrement personnalisé en fonction des capacités motrices et cérébrales de l’utilisateur.


Force de volonté et goût des autres

Simone est fier du chemin parcouru et il y a de quoi. Pour devenir celui qu’il est aujourd’hui, il dit avoir rencontré « beaucoup de circonstances positives, d’autres négatives, du moins en apparence ». Simone est surtout particulièrement doué pour créer autour de lui un contexte favorable. 

Né avec une paralysie cérébrale infantile, Simone est atteint d’une tétraplégie spastique et d’autres troubles, en particulier de l’expression verbale.  En Italie, il n’y a plus d’école spécialisée depuis la fin des années 1970 et, comme la plupart des enfants handicapés scolarisés, Simone est intégré dès le plus jeune âge dans une école ordinaire, avec un « enseignant de soutien ».

Dans un texte qu’il écrit à l’issue de son parcours de formation, Simone analyse les relations entretenues avec les adultes qui l’entourent, mais aussi avec ses camarades. Très tôt, Simone comprend une chose fondamentale : de la qualité des liens noués avec les autres, dépend le degré d’autonomie qu’il pourra atteindre. Pour des raisons d’abord tout à fait pratiques : pouvoir étudier dans de bonnes conditions nécessite une prise en compte de ses besoins particuliers et l’adaptation des lieux et des outils de travail. Mais aussi et surtout pour la motivation : se sentir bien avec son entourage est primordial pour soutenir les efforts dans la durée et aller de l’avant.

L'équipe d'AIDA presque au complet 


Dès la fin de l’école élémentaire, Simone commence à utiliser un ordinateur, avec un système de casque muni d’une sorte d’antenne qui lui permet de taper sur les touches du clavier. Tout en suivant les mêmes leçons que ses camarades, il s’exerce pendant les pauses à cette pratique un peu fastidieuse de la dactylographie. Pendant ses années collèges, Simone commence à jouer aux échecs et remporte des tournois au niveau de la province.  « Avec le sport, on apprend à se comporter avec les autres, à lutter pour atteindre un objectif, à vaincre et à perdre, à souffrir, à réagir pour pouvoir ensuite se réjouir… Ce sont des ingrédients importants pour la vie de n’importe qui, mais encore plus pour celui qui connaît des difficultés intrinsèques à sa condition physique », écrit Simone.

L’envie de se dépasser et, plus que tout, l’envie d’être et de faire avec les autres : deux moteurs permanents pour Simone qui va au lycée, puis à l’université et, enfin, obtient son diplôme en ingénierie informatique.


L’informatique, révélateur des capacités de communication et d’apprentissage  

Simone consacre son mémoire de fin d’études à l’utilisation des nouvelles technologies pour améliorer la communication entre des personnes lourdement handicapées et le monde extérieur. Avec un ami, il crée la société A.I.D.A. (« Ausili ed Informatica per Disabili ed Anziani » / « Outils et informatique pour personnes handicapées et personnes âgées »).  Au démarrage, une aide du Fonds social européen leur permet de mettre au point le programme phare, FaceMouse.


Année après année, Simone entre en contact avec des familles de toute l’Italie et parfois de l’étranger, qu’il reçoit à Modène ou à qui il rend visite. Les produits et services de conseil s’adressent à des personnes ayant des handicaps moteurs, mais aussi à des personnes atteintes de trisomie ou encore d’autisme. Le principe est toujours de s’appuyer sur les possibilités informatiques pour exploiter au mieux les ressources de la personne, repousser ses limites. Le but : permettre à cette personne d’être davantage connectée avec le monde, pour une vie plus riche et un quotidien facilité.


Changer les regards, viser plus haut

En tout, 300 à 350 personnes auraient bénéficié des services d’AIDA. « En huit ans d’activité, c’est peu, » déplore Simone. « Et les principales barrières sont dans le regard que porte la société sur les personnes handicapées. On ne les encourage pas à faire des choses par elles-mêmes, à essayer de se faire comprendre. Et dans certaines régions, les mentalités sont encore plus fermées. » Le problème étant que la personne concernée adopte très vite ce point de vue : convaincue qu’elle ne possède aucune capacité, elle ne voit pas l’intérêt d’essayer. Simone cite l’exemple d’un jeune garçon à Vérone qui, au bout d’une seule minute d’utilisation du logiciel, décrète que ça ne lui plaît pas.

Malgré son CV impressionnant, Simone est lui aussi confronté tous les jours à ces préjugés négatifs, notamment de la part des professionnels médicaux et éducatifs qui, souvent, refusent de le considérer comme un interlocuteur valable. « Certains de nos programmes sont uniques sur le marché et améliorent concrètement la vie des personnes handicapées ; pourtant, pendant toutes ces années, seuls deux médecins en Italie ont vraiment accepté de collaborer, » s’agace Simone. Si notre inventeur s’impatiente, c’est qu’il sait que, avec davantage de bonnes volontés, on pourrait aller beaucoup plus vite et transformer la vie de bien plus de personnes.

Simone s’emploie donc le plus possible à encourager et conseiller les parents, les instituteurs et l’ensemble des personnes qui peuvent jouer un rôle dans la révélation des aptitudes du jeune handicapé qu’ils accompagnent.


En attendant, ce qui fait évoluer les mentalités, ce sont aussi des histoires telles que la sienne. Lorsque je demande à Simone ce qui est le plus beau, il sourit et regarde Eri : « C’est de l’avoir rencontrée bien sûr ». Simone a décidé de réussir sa vie et rien ne semble lui résister... C’est peut-être pour ça qu’un journal l’a surnommé : « L’handicapé qui n’a pas eu peur d’échouer ». Pourquoi avoir peur quand on sait, comme Simone, que : « Un handicapé, c’est simplement une personne différemment habile ».





Impacts
  • Pour l'ensemble des personnes bénéficiant des logiciels et ayant été accompagnées par AIDA: la possibilité de communiquer plus facilement, d'écrire, de découvrir, d'apprendre. 
  • Le fait de pouvoir prendre l'initiative dans les situations d'interaction avec les autres peut être un point de départ à une vie plus épanouie et à la construction de projets de formation et de professionnalisation.    


Des ponts
  • Entre des personnes atteintes d'handicaps lourds et leur entourage, grâce à une communication améliorée. 
  • Une sociabilité élargie : de nouvelles connexions peuvent naître, l'expression facilitée rendant possible le fait de pratiquer certaines activités (formations, loisirs, voyages, ...). 


Ce que l'expérience de Simone nous apprend...
  • L’importance de l’humilité et de la reconnaissance de nos liens d’interdépendance : accepter de dépendre de l’autre pour mieux réaliser son potentiel, acquérir de l’autonomie et devenir soi-même capable de soutenir les autres.
  • Prophétie auto-réalisatrice : assimiler et véhiculer un discours démobilisateur revient à se priver de la possibilité d’essayer et, donc, de progresser. A l’inverse, la force de volonté et l’espoir d’y arriver ont forcément un impact positif sur les résultats.




Pour en savoir plus, visitez le site Internet d'AIDA