A Sofia et ailleurs en Bulgarie, des jeunes
sans domicile fixe jouent au football deux fois par semaine et préparent la
Coupe du Monde des sans-abri. Façon dynamique de reprendre pied dans la
société, ces entraînements sont une école de la vie pour des personnes qui
n’ont souvent connu ni famille, ni cadre éducatif. Avec une approche
entrepreneuriale et empathique, Viktor met sa passion pour le football et ses
compétences au service d’un projet social et éducatif qui n’en finit pas de
grandir.
Il y a dix jours, des SDF du monde entier
ont mis Poznan en ébullition. Cette ville polonaise accueillait la Coupe du Monde des sans-abri. Grâce aux réseaux sociaux, j’ai suivi avec enthousiasme
les moments forts de la compétition… avec une attention particulière pour
l’équipe de Bulgarie.
Par un heureux concours de circonstances,
j’ai fait la connaissance de Viktor Kirkov à Sofia. Passionné de football
depuis toujours, une première carrière dans le journalisme sportif puis dans la
publicité et les relations publiques dans le domaine du sport, Viktor n’est pas
devenu complètement par hasard le partenaire officiel de la Coupe du Monde des
sans-abri en Bulgarie.
Sollicité au départ pour son expertise et
ses contacts, il accepte de donner un coup de main pour monter le dossier de
candidature. De fil en aiguille, Viktor se retrouve seul responsable de ce
drôle de projet.
Entraîner le corps, mais surtout
l’esprit
En août 2011, sa demande est acceptée par la Fédération organisatrice. Le jeune
homme vient de créer son entreprise ; avec Sports Management Bulgaria, il gère
un complexe sportif pour le compte de la municipalité de Sofia et s’occupe de
marketing du sport. Son métier, c’est de faire venir les gens vers le
sport : les amateurs, mais aussi les médias, les entreprises. Avec les personnes
sans-abri, finalement, le challenge est presque équivalent...
A quelques détails près. « Au début,
tout était compliqué, » explique Viktor. Dans un centre d’hébergement
temporaire, il propose aux résidants de venir s’entraîner au football gratuitement,
deux fois par semaine. Un premier coach bénévole est recruté. Ce qui suit, pour
les 27 joueurs volontaires (25 garçons et 2 filles) âgés de 19 à 28 ans, c’est
l’apprentissage des règles… de la vie. Un vrai challenge pour ces jeunes qui,
jusque là, n’ont quasiment pas eu d’éducation.
L'équipe représentant la Bulgarie à Mexico en 2012. L'équipe bulgare s'appelle la "Team of Hope".
© Sports Management Bulgaria.
En Bulgarie, les enfants laissés à
l’assistance publique grandissent dans des institutions qui ont mauvaise
réputation. En me décrivant le système, Viktor perd un peu de son calme
habituel : « On s’occupe de la nourriture et de l’hygiène, mais personne
ne parle à ces enfants, personne ne se soucie de ce qu’il se passe dans leur
tête. A 18 ans, s’ils n’ont pas fini l'école, ils ont le droit de rester
encore deux ans. A 20 ans, du jour au lendemain, ils se retrouvent à la rue ».
Au début des entraînements, la ponctualité
des joueurs est toute relative. Puis, d’une petite victoire à l’autre, les
joueurs finissent par arriver tous en avance à l’entraînement, alors même qu’il
a désormais lieu dans le centre sportif éloigné que gère Viktor. Pour ce
dernier, la performance n’est pas la toute première priorité : « On essaye
de les amener à devenir disciplinés, organisés, responsables. C’est aussi très
important qu’ils apprennent à s’aider les uns les autres ».
Pour avancer, tout le monde doit
être content
Et les effets ne se font pas longtemps
attendre, même en dehors du terrain de foot. Bientôt, plusieurs membres de
l’équipe trouvent un travail et, progrès le plus notable, parviennent à le
garder ; certains quittent le centre d’hébergement temporaire pour louer
un appartement. Un jeune s’inscrit à l’université. Ce n’est pas le support
financier dont ils ne bénéficient pas, mais l’encadrement bienveillant et les
encouragements qui les poussent à se dépasser dans toutes les sphères de la
vie.
Alors que cette première expérience suit son cours à Sofia, Viktor noue des contacts à Plovdiv et Varna, puis à Stara Zagora, Vratsa et
Blagoevgrad. Dans ces villes
aussi, l’entraînement commence, avec plus ou moins de réussite, selon les
contextes.
Viktor pose avec le maillot de l'équipe, affichant le logo de son principal sponsor aux côtés de différentes personnalités : l'ancien ministre des sports bulgare Svilen Neykov (en haut à gauche), Mel Young, président-fondateur de la Coupe du Monde des sans-abri (en haut à droit) et Peter Schmeichel, ancien capitaine du Manchester United (en bas). © Sports Management Bulgaria.
Grâce à son expérience, Viktor développe un
modèle économique d’une efficacité redoutable, à tel point qu’il en dévoile les
secrets, lors d’une conférence, aux collègues des autres pays : trouver des
ambassadeurs attractifs, offrir aux médias des nouvelles enthousiasmantes,
créer l’émulation pour garantir aux sponsors un retour sur
investissement en publicité équivalent à cinq fois le montant donné au
départ... « Faire en sorte que tout le monde soit content, » résume
Viktor qui, tout en consacrant la moitié de son temps à une mission sociale,
constate que son centre sportif bénéficie de retombées positives. Les coachs,
désormais au nombre de sept, bénévoles, sont remerciés par quelques
avantages en nature et, surtout, ont l’opportunité de développer des compétences
en entraînant une équipe nationale.
Education complémentaire :
amour et liberté
Si la pratique du football a de puissants
effets collatéraux, Viktor monte d’autres projets pour donner aux joueurs toutes
les chances de s’en sortir. Certains participent ainsi à un programme éducatif
qui s’appuie sur la méthode suggestopédique inventée par le psychologue bulgare
Georgi Lozanov. Cette approche, évaluée de façon positive par l’Unesco en 1978,
vise à augmenter les capacités d’assimilation et de mémorisation, notamment
dans l’apprentissage d’une langue étrangère, en s’appuyant sur une dynamique de
groupe positive et des interactions épanouissantes. Viktor, qui a lui même
expérimenté la méthode, est convaincu de son efficacité : « Cela
fait des individus libres d’esprit et créatifs… Ces jeunes, qui jusque là
n’ont jamais reçu d’amour, se transforment. »
Deux volontaires ont ainsi été formés à la suggestopédie,
puis ont chacun assuré un cours de 25 heures auprès des joueurs. Pour trouver
les financements nécessaires à la formation de nouveaux professeurs, Viktor ne
manque pas d’idées. Par exemple, la mise au point par des herboristes puis la
commercialisation d’une « super nourriture » saine, équilibrée et
énergisante, pour renforcer les muscles du corps comme ceux du cerveau.
L'équipe masculine bulgare remporte la Poznan City Cup. © Sports Management Bulgaria.
En effet, si les objectifs de réalisation personnelle et d’insertion sociale priment sur le reste, tout est pensé pour que la
réussite sportive advienne aussi. En 2013, pour sa deuxième participation au
Mondial, la Bulgarie remporte l’un des trophées, la Poznan City Cup. A Sofia,
une équipe de futsal (football en salle) est en train de se monter avec les
joueurs les plus talentueux. L’ambition, d’ici deux ou trois ans, est de
constituer une véritable équipe professionnelle, celle qui représentera les
Bulgares, avec ou sans toit.
Impacts
En 2013, 70 jeunes hommes et 11 jeunes
femmes s’entraînent au football dans 5 villes de Bulgarie : Sofia,
Plovdiv, Stara
Zagora, Vratsa et Blagoevgrad.
Petit à petit, les joueurs acquièrent des
qualités : la régularité, le respect, l’esprit d’équipe. Ils retrouvent
une vie plus stable (emploi dans la durée, logement, reprise d’études, etc.).
En août 2013, 26 joueurs participent à la
Coupe du Monde des sans-abri en Pologne, avec la possibilité de rencontrer des
jeunes issus de 69 autres pays.
Des ponts
Entre des jeunes en situation très précaire
et le football, le monde du sport et l’ensemble des habitants des villes
concernées, à travers les médias et les processus d’insertion sociale.
Entre des jeunes adultes du monde entier, connaissant ou ayant connu de grandes difficultés.
Les équipes bulgare et polonaise féminine, après la rencontre. © Sports Management Bulgaria.
Les leçons de Viktor
La recette du succès : « Pour
réussir, il faut deux choses : l’amour et la discipline. Je ne veux pas
aider ces gens, je veux créer des opportunités qui leur permettent d’initier en
eux un changement durable. Quand ils sont prêts, la vie leur donne une chance.
Nous les aidons simplement à devenir plus prêts. »
Faire ce qui nous rend heureux : « Lorsque
j’étais plus jeune, j’étais fan d’une des équipes locales de Bulgarie et ça me
rendait très heureux. Puis, j’ai perdu ce sentiment en découvrant que tout n’était
pas clair dans le milieu du football. Maintenant, avec mon équipe, j’éprouve de
nouveau ce merveilleux sentiment ! La vraie raison, c’est que je suis heureux
de faire ce que je fais. »
Pour en savoir plus, visitez le site Internet de Sports Management Bulgaria et la page Facebook de Homeless World Cup Bulgaria.
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