A Quarto Oggiaro, des étudiants et jeunes professionnels du secteur social créent Quarto Posto, un lieu pour sociabiliser, découvrir, expérimenter. Dans ce quartier en grande difficulté du nord-ouest de Milan, les jeunes bénévoles s'adressent aux enfants et aux adolescents, aux parents et aux retraités du quartier, mais aussi aux autres Milanais. Organiser la rencontre entre des cultures différentes, animer des jeux et des ateliers créatifs, susciter la curiosité : Flavia, Marina, Pietro et les autres membres du collectif observent, comprennent, proposent, créent du lien et éclairent des perspectives.
Alors que Flavia nous conduit de la station de
métro Affori Centro à Quarto Oggiaro, je lui raconte la
réaction de l’employé de l’hôtel à l'évocation de ma visite nocturne du quartier : "Là-bas, c’est le Bronx !". Amusée et
énigmatique, Flavia semble penser : "pas tout à fait vrai, ni tout à
fait faux".
Capuana, petite place entourée de barres
d’immeubles. D’apparence rénovée, pelouses d’un vert tendre et lumière
bleue qui éclaire les passages en rez-de-chaussée. Le calme dans
l’obscurité, trompeur selon Flavia : "En journée, surtout l’été, les
enfants sont partout, c’est plein de vie. Cette place, c’est un pays en
soi."
Nous arrivons devant un store baissé, avec
une inscription : "Circolo Arci Itaca". "C’est ici que nous
sommes installés, dans ce Circolo Arci géré par des petits vieux," introduit Flavia
avec un sourire. En Italie, Arci est l'un des rares réseaux associatifs laïcs ; il repose sur l’initiative de bénévoles regroupés dans des "Circoli" (des "cercles"). Comme Itaca et Quarto Posto, chaque Circolo a un
projet spécifique, s'inscrivant dans une philosophie qui promeut la
participation des habitants et la cohésion sociale.
Faire venir le centre en périphérie et la périphérie au centre
Marina nous attend. Les deux jeunes
femmes ouvrent le bar et nous servent un café. Pietro nous rejoint bientôt.
Après m’avoir fait visiter les lieux, les trois amis s’installent et me racontent.
Flavia au bar
"Redresser la tête et la tenir
haute" sont les mots de
Quarto Posto, un collectif créé en 2011 par huit jeunes âgés en moyenne de 25 ans autour du quartier de Quarto Oggiaro. Ce qui les rassemble alors : ils se
destinent aux métiers du social et ont grandi dans la banlieue nord-ouest de Milan. Quand
je leur demande comment est né le projet, ils évoquent leur attachement à cette banlieue, le lien particulier de
l’une d’entre eux à Quarto Oggiaro. Ils parlent aussi de passion, de défi et de l’envie de vivre une
aventure collective.
Lieu emblématique de la
drogue à Milan, le lieu
concentre des problématiques lourdes : chômage de masse, familles
déstabilisées, jeunes sans repère et impliqués dès l’enfance dans des activités
de vol et de trafic… Handicaps auxquels s’ajoute une image
désastreuse. Et c’est de là que naît le défi : comment faire d’un lieu
aussi périphérique un endroit où il faut être ? "Délocaliser la movida milanaise, voilà
une perspective intéressante !," s’enthousiasme Marina.
© Quarto Posto
C’est dans cet esprit que les jeunes de
Quarto Posto commencent à organiser des soirées, des présentations de livres,
des concerts, des projections de films… Une programmation attractive pour associer d'autres images à Quarto Oggiaro. Faire venir des gens de l’extérieur,
mobiliser les habitants du quartier, créer des occasions de socialisation
stimulantes et valoriser les talents locaux. "Faire venir le centre en
périphérie et la périphérie au centre," résume Pietro.
S'appuyer sur les ressources locales
En s’appuyant sur un modèle d’auto-financement,
le collectif cherche à valoriser les ressources locales. Avec de
petites recettes qui proviennent essentiellement des soirées du vendredi,
Quarto Posto soutient le bar Itaca, organise des activités telles que des ateliers artistiques ou des tournois de football et monte des projets éducatifs avec les
enfants et les jeunes du quartier.
Pietro et Marina devant une peinture collective réalisée par les enfants du quartier
Pendant trois mois, en collaboration avec
les éducateurs d’autres associations locales, Flavia a ainsi arpenté les rues
de Quarto Oggiaro pour connaître et accompagner des enfants totalement livrés à
eux-mêmes. "En suscitant des expériences positives, il s’agit de montrer à ces
jeunes qu’on peut affronter les choses différemment, qu’on peut inventer autre
chose," explique Flavia. Pour la jeune femme, la réussite d’un tel projet
repose sur la connaissance du tissu local, des acteurs publics, privés et
associatifs, pour pouvoir se passer efficacement le relai.
Se faire apprivoiser
« Au départ, on nous demandait d’où on
était, » raconte Marina en riant, « on n’est pas de Quarto Oggiaro,
donc on est des étrangers ». La voiture de Flavia est même vandalisée.
Aujourd’hui, s’ils sont toujours perçus comme des gens un peu bizarres parce qu'ils viennent travailler sans contrepartie financière, les jeunes de Quarto
Posto ont gagné la confiance des habitants.
De la même façon, les retraités du bar ont au début du mal à accepter de faire rentrer des enfants agités dans le local, d'autant que la peinture ou les autres activités suscitent un peu d'animation et de désordre… Petit à petit, un apprivoisement réciproque
et une collaboration respectueuse se mettent en place. Nicola, le barman, donne
un coup de main pour le service du vendredi soir. Les jeunes renflouent un peu
les caisses et proposent des idées au conseil d’administration du Circolo
Itaca.
© Quarto Posto
Pour les membres de Quarto Posto, les
valeurs se traduisent concrètement, à travers un engagement de terrain et des
décisions élaborées collectivement. Pietro raconte : "Nous avons
organisé des soirées avec l’association Libera pour parler de la mafia :
symboliquement, pour Quarto Oggiaro et pour Milan, c’était très fort. Mais nous
ne pouvons pas faire Libera ici, ça nous empêcherait
de faire autre chose". "Nous
sommes anti-mafia, anti-fascistes : ce sont nos valeurs," précise
Marina. "A centre mètres, ils ont ouvert un bureau de Casa Pound, un
groupe néo-fasciste. On ne peut pas laisser un tel groupe être le seul choix pour les jeunes d'ici, on doit donner une alternative ».
23 heures. Nous quittons le bar Itaca. Je regarde une dernière fois la petite place Capuana et je me
dis qu’il y a de la poésie dans tout ça. Plus tard, je lis ces mots sur le
projet de Quarto Posto pour Quarto Oggiaro : "Un espace où
expérimenter à la première personne la possibilité de créer la
culture, où redécouvrir les relations sociales les plus simples, où devenir des citoyens actifs".
Impact
- Une offre culturelle nouvelle et un espace de rencontre dynamique.
- Des possibilités d’expérimentation, de jeu et de création, pour des enfants et des jeunes qui découvrent que des alternatives à la criminalité existent et que chacun peut apprendre à développer son potentiel.
Des ponts
- Entre de jeunes bénévoles et les enfants, adolescents et adultes d’un quartier cumulant les difficultés.
- Entre des cultures, des identités, le centre et la périphérie.
- Entre de jeunes adultes et des personnes plus âgées, dans l’expérience de la gestion commune d’un bar et de projets associatifs.
Quelles leçons de l’expérience
Quarto Posto pour Flavia, Marina et Pietro ?
- La passion et le plaisir de faire ensemble soutiennent le projet dans la durée, permettent de développer la patience et la persévérance. La connaissance d’un monde prend du temps, la rencontre avec l’autre aussi.
- La congruence porte des fruits : les membres de Quarto Posto attachent de l’importance aux mots qu’ils emploient, à l’analyse et à la remise en perspective de leur action par rapport au contexte territorial, à l’histoire du quartier, etc. C’est assurer la congruence, ou encore la cohérence entre l’expérience qu’ils vivent sur le terrain et la conscience qu’ils en ont. C’est l’optimisme en action : un mélange d’idéalisme – une forte ambition pour le quartier – et de pragmatisme – on avance petit à petit et chaque pas est une victoire.
Pour en savoir plus: le site Internet d'Arci Milano et la page Facebook de Quarto Posto.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire