A l'est de la Hongrie, deux femmes qui portent le même prénom se battent à leur façon contre l'extrême pauvreté et contre le racisme le plus toléré d'Europe. Dans ces villages isolés de tout, la population est majoritairement d'origine rom. Pour que les enfants des familles pauvres apprennent à aimer apprendre, Nóra L. Ritók a créé il y a 14 ans une école qui s'appuie sur l'art pour développer les talents. Il y a trois ans, Nóra Feldmár terminait ses études d'écologie industrielle et a rejoint l'association de Nóra avec un projet : accompagner les villageois dans la mise en place d'un chantier de fabrication de briquettes de biomasse. Parce que la maîtrise d'une technologie, même simple, peut changer la vie et les rapports entre les hommes.
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© Igazgyöngy Alapítvány (Real Pearl Foundation)
Après
quelques heures passées à Told, les deux reporters nous ont ramenées à
Budapest, Nóra Feldmár et
moi. En voiture, entre deux discussions, je me suis replongée dans tout ce que je
venais de voir et de sentir. Dans
le petit village, outre le chantier de production de briquettes de biomasse,
j’ai visité un lieu dédié aux jeunes avec des ordinateurs ou encore une scène
de théâtre. Juste à côté, un atelier de couture et de broderie, animé par
deux femmes du village. Avec le développement de ces activités artisanales et
agricoles, les perspectives pour les habitants de vivre du revenu de leur travail deviennent petit à petit plus concrètes.
Les
nouvelles de 2014 sont plutôt bonnes. A Told, les chantiers de briquettes et de
renforcement de l’isolation des maisons continuent. Les habitants ont aussi
construit des poulaillers avec des matériaux usés. Les femmes participent à des cours pour apprendre à
cuisiner de façon diététique et économique, ou encore à bien s’occuper de leurs
jeunes enfants. Nóra L. Ritok m’écrit que "des réunions régulières et de nombreux projets culturels, artistiques et éducatifs rendent le village toujours plus collaboratif". Alors que les partenaires locaux font régulièrement appel au savoir-faire de l’association pour gérer des situations délicates, le gouvernement hongrois lui-même présente
désormais le travail de la Real Pearl Foundation comme une bonne pratique.
A Told, j’ai
été frappée de la bonne ambiance générale et de la proximité avec laquelle Nóra
F. échangeait avec les femmes. Je me suis sentie frustrée de ne pas pouvoir
leur parler directement. Barrière du hongrois, mais pas seulement. Ma visite
était rapide. Je suis habituée aux grandes villes européennes où tout le monde
considère comme normal d’optimiser son temps, d’aller vite et droit au but.
Ici, le temps a une autre consistance.
C’est
d’ailleurs sans doute là que réside le secret de la réussite des projets de
l’association, dont le chantier des briquettes. L’équipe de l'association accepte d’appréhender
ce temps, ce lieu et ces gens dans leur spécificité. "On ne résout rien
de Budapest", me dit Nóra L.R. "C’est ici, ensemble, que nous
devons résoudre les problèmes". Des villages comme Told, pauvres et
majoritairement peuplés de Roms, il y en a plein d’autres en Hongrie. Mais, en
se concentrant sur la petite région de Berettyóújfalu, la Real Pearl
Foundation se donne vraiment les moyens de réussir quelque chose. Au moins pour
quatre raisons :
- Le fait de s’ancrer quelque part et d’y passer du temps permet de connaître le terrain, de mieux comprendre les gens, d’identifier les réels besoins et les leviers qui vont permettre d’améliorer les choses ;
- Ce diagnostic s’appuie sur un croisement des savoirs : l’association apporte son regard et ses compétences (éducatives, sociales, artistiques, écologiques…) tout en sollicitant avec humilité l’expertise des habitants, qui sont les mieux placés pour parler de leur vie, des difficultés quotidiennes, des éventuelles tensions, de leurs besoins et de leurs espoirs. Sur la base d’un dialogue continu, chacun peut se remettre en question et enrichir sa propre vision.
- La Real Pearl Foundation n’entend pas faire à la place des gens. Avec une posture bienveillante, l’association propose des opportunités. Mais la dynamique ne prend que si les habitants s’en saisissent. Et, comme pour n’importe quel projet, c’est en commençant à faire que les personnes prennent petit à petit confiance en elles et mesurent mieux l’intérêt de leur action.
- L’approche est celle des petits pas. On pose une briquette après une autre : on essaye quelque chose, on ajuste aux contraintes du terrain, on consolide si ça marche, on identifie alors d’autres possibilités et on introduit de la nouveauté.
Il
me semble que c’est la réunion de ces différentes manières de faire qui permet
d’innover, a fortiori dans un environnement aussi complexe. La transformation induite par l'innovation se situe autant dans des effets tangibles -des conditions de vie qui s'améliorent que dans le processus. Le fait que chacun trouve sa place, puisse apporter sa propre contribution et s’inscrire dans une dynamique collective est probablement ce qui produit le plus de bien-être. De façon individuelle et collective.
Dans son expérience à Told, Nóra F. a particulièrement apprécié cette dimension-là. "On lit beaucoup de théorie sur la nécessité d’impliquer les habitants, mais c’est vraiment autre chose d’y être vraiment et de voir que, oui, c’est vraiment comme ça que cela doit se passer. Maintenant je peux vraiment dire que ces personnes ont de vraies compétences, de vraies qualités, parce que je les ai vues à l’œuvre, apporter des solutions. Et je sais que ça peut être vraiment génial de travailler avec elles".
Dans son expérience à Told, Nóra F. a particulièrement apprécié cette dimension-là. "On lit beaucoup de théorie sur la nécessité d’impliquer les habitants, mais c’est vraiment autre chose d’y être vraiment et de voir que, oui, c’est vraiment comme ça que cela doit se passer. Maintenant je peux vraiment dire que ces personnes ont de vraies compétences, de vraies qualités, parce que je les ai vues à l’œuvre, apporter des solutions. Et je sais que ça peut être vraiment génial de travailler avec elles".
Nóra
F. considère qu’elle a tout à apprendre d’une confrontation avec "le monde réel". Elle dit avoir mieux compris, de façon
tangible, ce qu’est la pauvreté : "Toute cette pauvreté autour, on
s’y habitue un peu d’une certain façon, mais parfois, sans prévenir, ça me heurte vraiment". Modestement,
Nóra avoue qu’elle a encore des progrès à faire sur la gestion de projet. "Jusque là, j’ai surtout agi au feeling, en ayant la chance de pouvoir
m’appuyer sur le travail de l’association, dont la présence est stable
ici". Intuitivement, mais aussi parce qu’elle a beaucoup réfléchi au
sujet dans le cadre de son mémoire, Nóra a trouvé le juste positionnement.
Avec
quelques coéquipiers, Nóra cherche aujourd’hui à accompagner d’autres villages
très pauvres en Hongrie dans la mise en œuvre de projets, en s'appuyant sur le fonctionnement qu'elle a expérimenté à Told. Elle propose aux villageois l’introduction de
technologies écologiques susceptibles d’améliorer leur quotidien, sans
prétendre savoir à l’avance comment faire ni quelles ressources vont pouvoir
être mobilisées. Ce qui peut rendre un tel projet possible, c'est le fait de travailler étroitement avec les
habitants, qui connaissent leur territoire et leurs besoins, mais aussi avec des associations
fortement implantées, pour que le projet trouve sa place dans un travail de développement plus global. C’est croire fortement,
et le démontrer de façon tangible, que partout, même dans les lieux les plus
marginalisés d’Europe, on peut trouver de l'or.
Pour en savoir plus, n'hésitez pas à consulter le site de la Real Pearl Foundation (avec une partie en anglais bien documentée).