A Madrid, j’ai rencontré un clown joyeux. Lorena
Silvestri a trois passions : le théâtre, l’éducation et l’entrepreneuriat
social. Et un credo : c’est en s’amusant qu’on apprend le mieux. Avec son
amie Carmen, elle a créé la compagnie de théâtre "Bailando Esperanza". Entre 2010 et 2012, les deux jeunes
femmes ont porté le projet "Wake up and Dream !" en Inde, au
Venezuela et au Moyen-Orient pour récolter des sourires d’enfants et apporter
des moments de répit à leurs éducateurs. Dans les locaux d’Ashoka, puis au
dernier étage du centre culturel CaixaForum, Lorena partage avec moi quelques
belles histoires et des projets en pagaille.
Ses yeux qui pétillent et son rire sonore, c’est
comme pour annoncer tout de suite la couleur, une conviction profonde : la
vie est une incroyable aventure. Née au Venezuela, Lorena Silvestri y passe son
enfance, avant de partir étudier en Europe.
De ces jeunes années à Caracas, Lorena se souvient en
particulier de l’école. Une école catholique, avec des enfants issus de
familles très riches, une école où l’on enseigne la charité envers les plus
démunis. « Quand on grandit dans une ville comme Caracas, il est très
facile de s’apercevoir qu’il y a des choses ne vont pas bien dans le monde.
Parce qu’on sait qu’il y a 80% de la ville où on ne peut pas aller parce que c'est dangereux, »
explique Lorena, marquée par les fois où elle s’est rendue dans d’autres
écoles pour jouer et partager des savoirs avec les enfants des quartiers
pauvres.
Autre épisode resté gravé dans sa mémoire, sa
rencontre avec le théâtre : « A
13 ans, j’ai assisté à une pièce jouée par des camarades et je me suis dit : "Voilà. C’est ce que je veux faire toute ma vie !" » raconte Lorena qui
commence le théâtre l’année suivante et ne cessera plus d’en faire.
A 17 ans, Lorena est acceptée au United World College
(UWC), « une organisation internationale fondée pendant la guerre froide
pour éduquer des jeunes du monde entier à une culture de la paix, à la
résolution de conflit et à la compréhension interculturelle. » Elle passe
ces deux années de formation dans l’école de Duino en Italie, le pays de son
grand-père. Là, le "service pour la
communauté" étant au cœur du projet pédagogique, Lorena consacre son
énergie à des projets… de théâtre. « On a créé un spectacle de
marionnettes, "Les fables du monde", qui
racontait la création du monde à travers le prisme de différentes
cultures. On a fait une tournée dans tout Trieste : orphelinats,
centres sociaux, maisons de retraite… C’était vraiment très amusant ! »
s’enthousiasme Lorena.
Des nez de clown
et des sourires
Après l’Italie, Lorena poursuit ses études en Allemagne,
avant de s’installer dans la capitale espagnole. Tout en travaillant dans un
centre de stimulation précoce dédié aux jeunes enfants et à leurs parents, la
jeune femme suit une formation de clown. Elle y fait la connaissance de Carmen,
qui est israélienne : « On a passé beaucoup de temps ensemble et on
s’est vite rendu compte qu’on adorait être toutes les deux sur scène ! Un
an après, on a créé notre compagnie de théâtre, "Bailando
Esperanza" ». Puis, des amis de l’UWC invitent Lorena à leur mariage
en Inde. « J’ai proposé à Carmen de venir avec moi et nous avons eu de
longues discussions sur la manière d'apporter du sens à un voyage… Nous, ce qu’on savait
faire, c’était jouer, donc pourquoi ne pas monter une pièce de théâtre ? »
se remémore Lorena avec un grand sourire.
Ce qui suit, c’est le projet estival "Wake up
and Dream !" réalisé entre 2010 et 2012 dans trois régions du
monde : l’Inde, le Venezuela et le Moyen-Orient. Munies de centaines de
nez rouges qu’elles distribuent sur leur route, les deux jeunes clowns se
déplacent de village en village pour jouer leur pièce. Lorena me résume
l’histoire : « On est deux exploreurs, perdus et affamés et, comme on ne parle
pas très bien la langue, on commence à poser des questions… Dès les premières
secondes, les enfants réagissent, finissent nos phrases, montent sur scène…
C’est un spectacle très simple et interactif. »
Pour les adultes qui accompagnent les enfants,
instituteurs, éducateurs, parents, Lorena et Carmen proposent un atelier sur le
clown. « On s’est vite rendu compte qu’on manquait de temps pour faire une
vraie formation ; on a donc reconsidéré l’atelier comme un cadeau, un
moment pour s’amuser bien plus que pour apprendre quelque chose, » précise
Lorena. De la même façon, elle préfère mesurer l’impact de la
démarche par le nombre de sourires récoltés (plus de 16 000 en
trois ans) plutôt que par d’éventuels bénéfices éducatifs :
« Beaucoup de gens et d’organisations travaillent dur pour le développement et l’éducation dans le monde… Nous, on vient les voir pour leur apporter
quelques heures de rire et de divertissement ».
Se faire
plaisir et changer le monde
Cet ambitieux projet, Lorena et Carmen y ont consacré tout leur temps libre. A Madrid, Lorena enseigne le théâtre à de
très jeunes enfants pour les éveiller à « l’imagination, l’expression et
la création de leur propre monde ». Elle considère le jeu théâtral comme un
puissant vecteur de bien-être et d’apprentissage.
Dans un autre registre mais avec la même envie de communiquer
son énergie, Lorena contribue à animer le réseau "Jóvenes Changemakers" d’Ashoka
en Espagne, avec des ateliers permettant à des jeunes de 14 à 24 ans de découvrir
et d’expérimenter l’entrepreneuriat social. « L’idée n’est pas qu’ils
puissent en vivre, mais plutôt qu’ils comprennent ce que signifie "être un entrepreneur social", qu’ils puissent ressentir
l’excitation de créer eux-mêmes une opportunité depuis le départ et d’apporter
un changement dans leur communauté, » explique Lorena.
La méthodologie "Dream it, Do it !" élaborée par Ashoka s’appuie sur les
passions des porteurs de projet. Une approche simple pour des réalisations
parfois prometteuses. Avec The Social Coin, une équipe catalane a ainsi parié qu’une pièce de monnaie biodégradable pouvait encourager
des petits actes d’altruisme au quotidien. La toute jeune entreprise sociale
aurait déjà permis d’aider près de 125 000 personnes. Pour toucher davantage de jeunes, des enseignants et des travailleurs sociaux sont aussi formés à
la méthodologie « Dream it, Do it ! ».
Une idée,
une équipe et de l’envie
Que ce soit avec Ashoka, avec le United World College
ou encore avec COtarro, un groupe de travailleurs indépendants spécialistes de
l’innovation sociale, Lorena ne manque pas de projets. Avec des co-équipiers, la
jeune femme lance actuellement deux nouvelles initiatives. La première consiste à proposer à des enfants de relever des défis de construction, un
projet qui s’inspire de la "Tinkering School" de la région de San
Francisco. « Là où l’on trouve le top de la technologie et de l’innovation, on démontre qu'il est tout aussi important de permettre à des enfants de faire… ce qu’on
fait depuis toujours, utiliser nos mains ! » s’amuse Lorena. L’autre projet, c’est "Punto JES", un centre de ressources dédié aux jeunes
entrepreneurs sociaux.
Source: http://sf.tinkeringschool.com/blog/
Si Lorena est à ce point active, c’est parce
qu’elle juge que l’Espagne est aujourd’hui un terrain particulièrement
favorable à l’entrepreneuriat social. « Le green était à la mode dans
les années 90, maintenant c’est l’entrepreneuriat social ! » se réjouit-elle en notant l’attention grandissante des médias ou encore le nombre
d’organisations publiques et privées qui se montrent prêtes à soutenir des projets. Même si, pour la
jeune femme, les ressources financières ne sont pas dans un premier temps les plus importantes : « Avoir l’idée, l’équipe, l’envie et l’énergie de faire, c’est ce qui compte au départ ! »
Ce que Lorena a appris
« Pour grandir en tant que personne et en tant
que professionnel, j’essaye d’apprendre en permanence, d’être ouverte à tout ce
qui se passe autour de moi. »
« L’important, c'est de se faire plaisir. Ça ne sert à rien
de forcer des enfants à faire quelque chose qu’ils n’apprécient pas, on ne peut
pas apprendre de cette manière. Il faut leur proposer quelque chose d’engageant
et d’intéressant. »
Les compétences clé ? « La confiance en soi: c’est important que les enfants puissent former leur propre opinion et sentir que ce qu’ils ont à dire est important. Et la créativité, qui est liée à la confiance en soi. Je pense qu’on ne peut être créatif que quand on s’autorise à échouer et qu’on est bien avec soi-même. »
Les compétences clé ? « La confiance en soi: c’est important que les enfants puissent former leur propre opinion et sentir que ce qu’ils ont à dire est important. Et la créativité, qui est liée à la confiance en soi. Je pense qu’on ne peut être créatif que quand on s’autorise à échouer et qu’on est bien avec soi-même. »
Pour en savoir plus sur le projet "Wake up and Dream!", consultez le site de Bailando Esperanza et le Tumblr de la compagnie.