A l'est de la Hongrie, deux femmes qui portent le même prénom se battent à leur façon contre l'extrême pauvreté et contre le racisme le plus toléré d'Europe. Dans ces villages isolés de tout, la population est majoritairement d'origine rom. Pour que les enfants des familles pauvres apprennent à aimer apprendre, Nóra L. Ritók a créé il y a 14 ans une école qui s'appuie sur l'art pour développer les talents. Il y a trois ans, Nóra Feldmár terminait ses études d'écologie industrielle et a rejoint l'association de Nóra avec un projet : accompagner les villageois dans la mise en place d'un chantier de fabrication de briquettes de biomasse. Parce que la maîtrise d'une technologie, même simple, peut changer la vie et les rapports entre les hommes.
(2/3)
"Le talent est présent partout et on peut passer à côté de grands trésors si les potentiels de ces enfants ne s’expriment pas à cause du contexte dans lequel ils vivent". C’est une autre Nóra qui parle comme ça. J’ai rencontré Nóra L. Ritok le matin de cette journée de printemps. Après un parcours assez épique en train depuis la capitale hongroise, je suis arrivée à Berettyóújfalu, plus grande (petite) ville de cette micro-région.
Dans
l’école un peu particulière qu’elle a créée -une école où les enfants se
rendent tous les après-midi pour faire de l’art- Nóra est bien occupée
ce matin-là : avant moi, elle a animé une formation puis reçu un journaliste et un
photographe du quotidien hongrois Magyar
Nemzet pour une interview. La sensibilité de ce journal est proche de celle de la FIDESZ,
le parti du Premier ministre Viktor Orbán qui a conservé sa majorité des deux tiers aux élections du 6 avril dernier.
Lorsque
mon tour arrive, Nóra m’offre toute son attention. Elle me
parle d’une façon très concentrée, décidée à utiliser pleinement ce moment pour me transmettre un peu de sa réalité. Des photos défilent et Nóra me commente ces lieux de vie qui ressemblent à des
chantiers jamais finis. "Ces maisons n’ont pas l’eau courante, parfois
pas d’électricité. Les familles vivent souvent à six ou huit dans une seule
pièce." Elle ajoute : "Les enfants vont à l’école, mais
les enseignants ne vont jamais dans les familles, ils ne se rendent pas compte
des conditions dans lesquelles vivent ces enfants".
Avant,
Nóra était elle aussi enseignante dans un établissement scolaire
traditionnel. Elle était particulièrement attentive aux enfants rom qui
n’avaient rien et qui n’intéressaient pas les autres instituteurs. Il y a
quatorze ans, elle décide de fonder une école qui pourrait changer le cours de
la vie des enfants pauvres, rom ou pas : un endroit où ils peuvent
expérimenter, créer, être félicités, découvrir leur talents et développer le goût d’apprendre. En 2013, l’école a accueilli 650 enfants et jeunes de six à 22 ans. Ils habitent dans les villages
alentours et, chaque jour, les équipes éducatives et sociales de l’association viennent les chercher.
Au départ,
l’association concentre toute son action sur les enfants à travers l’éducation
à l’art. Puis, après quelques années, Nóra se rend compte que, sans
le soutien des familles, son action pour les enfants rencontre forcément des
limites à un moment ou à un autre. "Je sais que c’est impossible de
changer la façon de vivre de cette grand-mère. Elle n’a jamais rien appris,
jamais travaillé. Pourquoi cela changerait ? Mais elle et moi, on peut
avoir un lien de partenariat pour les enfants, pour elle," Nora me désigne la
petite fille souriante à côté de la grand mère sur la photo.
Année
après année, la Real Pearl Foundation développe donc de nouvelles actions
destinées à soutenir les familles : aide alimentaire, activités de
broderie pour les femmes, confection de briquettes de biomasse, bourse
mensuelle pour les élèves les plus méritants… "Avec cette bourse, toutes
les familles comprennent que l’éducation, c’est très important," révèle l'astucieuse Nóra. Outre ce changement de regard sur l’éducation, l’objectif
de l’association est de consolider ces communautés villageoises, de renforcer
les capacités de chacun et les liens entre habitants.
Et pour donner une plus grande portée à l'action qu'elle conduit, Nóra
L. Ritok a une arme secrète : son blog. Avec sa longue expérience, Nóra
sait que son approche, qu’elle appelle la like méthode, est la
seule qui marche avec ces personnes complètement exclues de la société. Dans un
blog très suivi, Nóra invite donc les maires, les enseignants ou encore les
policiers à privilégier un traitement humain des Roms plutôt que la pression et
la discrimination. Dans ses articles, Nóra relate des situations précises
jugées inacceptables, sans pour autant citer de nom mais en s’arrangeant pour
que les personnes concernées se reconnaissent. "Avec ces personnes-là, le
travail est plus difficile qu’avec les Roms. Mais je dois construire aussi avec
elles des relations partenariales, je dois continuer à sourire".
Nóra
dégage tout à la fois de la force et de la fragilité. Sa meilleure arme,
c’est d’ailleurs sa sensibilité, son empathie en toute circonstance. Elle ne
cache rien : révolte, détermination, un peu de fatigue, aussi, devant
l’ampleur de la tâche qu’elle s’est choisie. Ses chaleureux sourires et ses
gestes empreints d’une grande gentillesse me sont sincèrement destinés. Nora
sait que la bataille de l’opinion se gagne pas à pas. Au bout de trois petits quarts
d’heure, je suis conquise. Est-ce que les deux reporters de Magyar Nemzet le sont aussi? C'est dans leur voiture que je quitte Berettyóújfalu pour rejoindre le village Told.
Suite et fin dans les prochains jours
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire